In Memoriam Jean Lacas
Notre Ami Jean LACAS nous a quittés le 26 avril 2022, dans sa 96° année. Il a été l’un des piliers du Spéléo-Club de Dijon, entre 1962 et 1980, et il a fait partie de Dijon-Spéléo, le Club qu’il a fondé avec le docteur Pierre CASTIN et Eynard de CRECY, dont il était le Président d’Honneur quand son décès est survenu, le 26 avril 2022.
Sa famille est originaire de Lozère, par son père. Ses parents sont arrivés Dijon pour créer une épicerie non loin du centre-ville, rue Millotet. Jean est l’aîné de 3 enfants, né en janvier 1927. Ses parents et ses sœurs se sont impliqués dans le fonctionnement du commerce, avec l’aide de quelques salariés quand l’affaire a pris de l’ampleur. Il a fait son service militaire à Berlin après la fin de la guerre, et il a pu voir, à cette occasion, les effets d’une guerre sur une ville. Davantage attiré par la mécanique et l’électronique que par la reprise de l’affaire familiale, il entre à BOURGOGNE ELECTRONIQUE, le plus gros employeur de ce secteur d’activité dans la région, après avoir exercé différents métiers.
En 1962, il rencontre des membres du Spéléo-Club de Dijon (S.C.D.) dans le Puits Groseille (Arcenant, 21), alors que lui-même y prend des photos au magnésium. Il se rend ensuite à une réunion du Club, au local alors situé au n° 7, rue de la Résistance à Dijon. Le S.C.D. sort juste d’une crise interne, consécutive à la démission du Président Bernard de LORIOL, suivie par celle de plusieurs autres membres. Le Doyen de la Faculté des Sciences, le Professeur Raymond CIRY, assure désormais la Présidence, et le docteur Pierre CASTIN l’animation de l’activité spéléologique, avec le soutien d’une équipe d’Anciens du Club (1).
Jean LACAS et Jean-Marie LACASSAGNE sont les premiers adhérents à venir compléter la nouvelle équipe. Ils ne limitent pas longtemps leurs activités aux cavités de Côte d’Or et du Jura. Ils choisissent, dès l’été 1962, de rejoindre l’expédition que le Spéléo-Club de la Seine organise à la limite orientale des Picos de Europa (Province de Santander) (2). A l’été précédent, le S.C. Dijon avait réalisé une expédition dans la région d’Arredondo, située dans la partie centrale de la même province (aujourd’hui La Cantabria). Outre le Président de LORIOL, trois géologues dijonnais participaient à l’expédition : Jean CHALINE, Jean-Paul VOILLIOT et Roland BUFFARD.
Jean LACAS et J-M LACASSAGNE ont l’idée d’effectuer un repérage des cavités qui avaient été partiellement reconnues autour d’Arredondo par le S.C.D. et dont ils ont tellement entendu parler aux réunions de Club. Deux des trois frères DRESSLER, Frédéric et Bruno, qui participent à l’expédition dans les Picos de Europa, viennent de découvrir le Cañon de la Cueva Coventosa, dans la Haute Vallée du Rio Asòn. Une reconnaissance est alors organisée dans cette vaste grotte, en fin d’expédition, sous la conduite de Frédéric et Bruno DRESSLER.
Pendant l’hiver qui suit, Jean LACAS n’a pas de peine à convaincre le S.C.D. de suggérer au S.C. Seine une participation plus importante de Dijonnais au second camp, organisé à Panes, près des Picos de Europa, pour l’été 1963. Ce sont donc huit dijonnais qui se rendent à Panes (3). Comme l’année précédente, parisiens et bourguignons s’arrêtent au retour à Arredondo, et en profitent pour faire plusieurs incursions dans la Coventosa, avec bivouac souterrain.
Le S.C.D. décide alors de reprendre les expéditions annuelles en Cantabrie. Bernard de LORIOL ayant, entre-temps, créé la Société Spéléologique de Bourgogne (S.S.B.), ce sont donc deux Clubs dijonnais qui souhaitent explorer cette région. Les autorités provinciales du Museo Provincial de Prehistoria de Santander décident d’attribuer à chacun des deux Clubs un secteur, de chaque côté du Rio Asòn. LACAS fait partie de l’équipe qui se rend à Santander, au printemps 64, sous la conduite du Doyen CIRY, pour obtenir l’autorisation d’exploration exclusive du secteur qui s’étend entre le Rio Asòn et le Rio Miera, où plusieurs grandes cavités d’accès facile ont déjà été reconnues. Simultanément, Claude MUGNIER, étudiant-géologue à Dijon, est affecté par le Doyen CIRY à l’étude karstologique de l’ensemble des secteurs affectés par le Museum aux Clubs dijonnais.
A partir de l’été 1964, Jean LACAS participe à chacun des camps annuels du S.C.D. en Cantabrie. Parmi les principales découvertes auxquelles il collabore, citons les galeries supérieures de la Galerie Argileuse de la Cueva Coventosa (4), les réseaux fossiles de la Cueva Fresca et de la Cueva Cayuela et surtout, à partir de l’été 1966, le Gouffre Juhué (baptisé du nom de son inventeur, Gérard JUHUE, et ultérieurement renommé Sima del Cueto).
Pour répondre au souci du docteur CASTIN de se trouver en capacité de faire face à d’éventuels secours souterrains, Jean LACAS conçoit un modèle de treuil original, léger, d’encombrement limité. Il réalise ainsi successivement deux treuils à cadre en duralumin, tambour entraîné par chaînes et pédaliers. LACAS est en effet un cycliste amateur d’excellent niveau (il se rendra en Espagne en vélo depuis Dijon à une occasion), qui sait mieux que quiconque qu’un effort prolongé est plus supportable avec les jambes qu’avec les bras. Le premier treuil est destiné au S.C.D. Il est muni de deux pédaliers couplés, entraînant un tambour muni d’un câble de 200 mètres. Celui-ci est opportunément achevé avant l’exploration du puits de 302 mètres d’entrée du Gouffre Juhué, à l’été 1966. Il est emprunté par Haroun TAZIEFF, volcanologue et membre du S.C. Paris, pour acheminer une partie du matériel des Explorations Polaires Françaises dans le cratère du Mont Erebus. Le second exemplaire(vidéo ci dessous), destiné aux secours également en priorité, comporte un pédalier unique, et est destiné au Spéléo-Club de Chablis.
A l’instar de Bruno DRESSLER, Jean LACAS a le profil d’un Inventeur et d’un Technicien de génie, toujours en recherche d’améliorations techniques. Son équipement individuel et son matériel de camping sont améliorés par rapport à ceux de « tout le monde ». Chaque année, il fait la démonstration de nouvelles avancées techniques (5).
En Côte d’Or, il est souvent sollicité comme artificier, dans les désobstructions que le Club entreprend aux gouffres de Miollans (Frenois) et du Creux Percé (Pasques), pour dégager l’accès à l’ancien Cellier des Ducs de Bourgogne (Talant), ou encore tenter d’établir une jonction entre la Combe aux Prêtres et le vallon de La Rochotte (Francheville). Il a fait plusieurs radiolocalisations avec l’équipement qu’il avait fabriqué, alors que cette technique en était à ses balbutiements en spéléologie. Il a suivi avec grand intérêt la désobstruction de la Porte des Étoiles et est venu nous voir quelquefois avec son VTT à plus de 80 ans.
Celui que les filles du Señor Eulogio DEL RIO, Propriétaire du Bar-Restaurant La Cascada, à Asòn, appelaient « El Señor Grande », disposait d’atouts précieux en spéléologie : une grande taille, avantageuse dans les passages en opposition et pour avaler de grandes hauteurs d’échelles. Les étroitures coudées lui posaient, par contre, plus de problèmes qu’aux autres. Curieusement, Jean n’avait pas un sens aigu de l’orientation (6). Sa prudence presque tatillonne pouvait être jugée excessive.
Il appartenait à la génération intermédiaire entre celle des « Anciens » (7) et celle des adolescents qui sont arrivés en nombre, à partir de 1963. Son goût pour les séances photographiques – dévoreuses de temps – en ont découragé plus d’un de faire équipe avec lui … Mais son endurance physique n’a pas détonné, y compris au sein d’équipes « de pointe ». On l’a vu passer l’étroiture de la Pépine avec une pipe à la bouche! Il nous a même surpris, comme lorsqu’il a participé, à plus de 52 ans, à la seconde traversée du Système Cueto – Coventosa, qui est devenue depuis lors une des plus fameuses classiques de Cantabrie. C’était un sportif, frugal dans la vie comme dans le sport (8).
Bien d’autres souvenirs nous lient à lui. Ses compétences en mécanique lui permettaient de prolonger des discussions techniques de plusieurs heures avec Bruno DRESSLER, Jean-Jacques CHAUVIN ou François CHAVARRIA, les seuls au Club à pouvoir en comprendre le contenu.
On lui connaissait quelques défauts, comme une réticence à partager ses réserves de boîtes de conserve – objets de haute convoitise durant les camps d’Espagne. A ce titre, il a été victime de quelques blagues de potache de la part de ses collègues (9).
Il a fidèlement suivi le docteur CASTIN après son départ du S.C.D. Après 19 ans d’activité intense au S.C.D., il a été membre de Dijon-Spéléo pendant plus de 40 ans. Après le décès du docteur CASTIN (8 / 9 / 2000), il a conservé un lien hebdomadaire avec Mme Georgette CASTIN. Il a été présent aux Assemblées Générales de Dijon-Spéléo, jusqu’à ce qu’il juge plus prudent d’éviter les réunions publiques, en raison du Covid et de sa santé. Le docteur CASTIN disait de Jean LACAS que c’était un « garçon bien élevé » … Il ne cherchait pas à se mettre en avant, bien qu’il ait eu des idées bien arrêtées et une culture étendue, dont il ne faisait pas étalage.
Avec son départ, ses collègues spéléologues perdent une personnalité attachante, un spéléologue expérimenté, et un ami.
Rédigé par B. Humbel, avec un collectif d’anciens du S.C.D. et de Dijon-Spéléo.
Dijon, 10 mai 2022.
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(1) – Le « noyau » du S.C.D. comportait une quinzaine de membres actifs : Jean ROGER, Marcel BLANC, Roland VELARD, Bernard CANNONGE, Pierre SCART, Ghislain de JESSE, Henri TINTANT, Jean CHALINE, Roger RATEL, Alain PILLET, Roland BUFFARD, Jean-Paul VOILLIOT, Philippe MATHIEU, Pierre HURE …
(2) – Cette expédition de reconnaissance cible la région de Panes, dans la vallée du rio DEVA, sur la Province de Santander. Les participants du S.C. Seine étaient : « Bob » VOUAY (Président), son épouse « Libellule », Frédéric et Bruno DRESSLER (celui-ci étant membre du Spéléo-Club de Paris). LACAS et LACASSAGNE se rendent à Panes dans une 2CV Citroën, avec un important matériel d’exploration (en l’absence d’autoroute, le trajet prenait 2 jours à cette époque).
(3) – Participaient à l’expédition d’août 1963, pour le S. C. Seine et le S. C. Paris : M. & Mme VOUAY, Rose-Marie CHEVRIER, Bruno et Frédéric DRESSLER et pour le S.C.D. : Annie DELINGETTE, Jean LACAS, Alain PILLET, Georges GABARROCHE, Olivier GUILLAUME, Raphaël PEPIN, Jean-Paul VOILLIOT, Bénédict HUMBEL. Jean LACAS fait cette fois le trajet dans sa Vespa 400, avec un jeune membre du Club, le matériel de camping, les équipements spéléo, son matériel photo … Certains l’ont vu plus tard bivouaquer dans sa Vespa 400 et s’en extraire presque frais au petit matin.
(4) – La « galerie des excentriques » est découverte à cette époque en même temps que celle qui conduit à la base du Trou Souffleur, par laquelle se fera plus tard la jonction avec la Sima del Cueto. Jean a souvent tenu à retourner prendre des clichés dans la galerie des excentriques. Certaines des photos qu’il y a prises ont été primées.
(5) – Une année, c’est un boîtier-flash de 600 joules, actionné à la manivelle, qui lui permettait d’éclairer les versants du Val d’Asòn depuis le campement. Sa Panhard de course, à carrosserie en aluminium, tournait avec un carburant enrichi à l’éther. Il a eu aussi une Méhari décapotable, dans laquelle il roulait, les cheveux à l’air, été comme hiver, et qu’il a démonté jusqu’au dernier boulon à Talant, pour la reconditionner entièrement, en fabriquant de ses mains les outils dont il avait besoin. Eynard de CRECY se souvient avec nostalgie d’avoir effectué le trajet Dijon / Arredondo dans sa Panhard.
(6) – Il a été, malgré lui, à l’origine du nom de baptême de la Salle des Onze Heures à la Sima del Cueto, car il mettra, avec un collègue, presque une demi-journée à en retrouver la sortie, un laminoir peu visible une fois franchi. Dans la très large galerie du Chicaron du même Cueto, nous l’avons vu exécuter un demi-tour complet, en confondant le bord d’un énorme bloc avec la paroi réelle de la galerie, et … prétendre que nous étions partis dans une mauvaise direction. Rappelons que l’éclairage n’avait pas grand-chose à voir, à cette époque, avec ce qu’il est devenu aujourd’hui avec les leds.
(7) – Avec notamment Jean CHALINE, Jacques GAND.
(8) – Cycliste performant, il a fabriqué un plateau ovale pour son vélo ultraléger, prémonitoire quand on sait que des coureurs du Tour de France utilisent aujourd’hui de tels plateaux pour « faire la différence ».
(9) – La plus connue dans le milieu spéléo dijonnais – et l’une des moins délicates – a été d’envoyer un carton officiel d’invitation à son nom, à tous les membres du Bureau, pour « fêter ses toutes récentes fiançailles à son domicile ». Jean est en effet resté célibataire toute sa vie, trop timide peut-être pour trouver une compagne.